"Malgré les grands progrés que je fais en allemand, il est clair que j'y suis venu trop tard, et que je ne parlerai jamais cette langue comme le français. Je ne le regrette pas trop". Michel Tournier, "Le Roi des Aulnes".

23 janvier 2007

Justice militaire et justice niçoise

Gastro-entérite et retard des chemins de fer allemand ont en commun d'offrir à leurs malheureuses victimes de longues plages de lecture. Ayant par nature l'estomac fragile et voyageant chaque jour sur la Bahn, l'occasion m'est régulièrement donnée de revisiter la bibliothèque du salon. Les récentes livraisons nous emmènent - c'est étonnant - sur les traces de la Justice, de la politique et de l'éthique.

Débutons par un ouvrage qui est trop rarement cité parmi la bibliographie relative à Mendès France et qui relate son procès à Clermont-Ferrand en 1941. Jean-Denis Bredin retrace dans "Un tribunal au garde-à-vous" les derniers jours de la IIIe République, l'exode vers Bordeaux et la mise en place du régime de Vichy. Le regard de l'avocat-écrivain sur la procédure pénale dirigée conjointement par l'armée française et l'Etat français contre Mendès France offre une description technique et romanesque de faits historiques bien sinistres. L'exemple du procès de Mendès permet au lecteur de mieux appréhender la réalité de Vichy et la psychologie de ses acteurs. En refermant le livre, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur l'avenir des magistrats de Clermont-Ferrand à la Libération et sous les Républiques suivantes.

Autre temps, mais pas forcément autres moeurs. C'est en substance l'enseignement qu'il est possible de tirer du livre Document (ainsi que l'éditeur le désigne en couverture) d'Eric de Montgolfier, tour à tour procureur à Chambéry, à Valenciennes puis à Nice, coupeur de têtes (Tapie, Johnny, les francs-maç'), incarnation de la droiture de la magistrature et de son indépendance.

L'incorruptible met le lecteur en garde immédiatement : il n'est pas écrivain. Il conviendra de lui pardonner pour ne s'intéresser qu'au fond de ses propos et de sa pensée. On sent très vite que l'homme s'apprécie et la plume s'en fait sentir, relatant ses exploits judiciaires, ses prises de position courageuses, forcèment, son indépendance d'esprit, son indépendance et son refus de la soumission hiérarchique.

On lui pardonne vite car de Montgolfier convainc tout aussi vite son lecteur de la justesse de son propos et de son analyse. "Le devoir de déplaire" devrait assurément faire partie des lectures obligatoires à l'entrée de l'Ecole Nationale de la Magistrature.


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